L’intelligence artificielle va-t-elle faire disparaître le métier de traducteur ?

Published 2 hours ago
Source: 20minutes.fr
L’intelligence artificielle va-t-elle faire disparaître le métier de traducteur ?
<p>L’intelligence artificielle fait-elle déjà des victimes avant même d’avoir donné sa pleine puissance ? D’un côté, <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/intelligence_artificielle">l’essor spectaculaire de l’IA</a> a créé des métiers qui n’existaient pas il y a quelques années seulement. De l’autre, les performances grandissantes <a href="https://www.20minutes.fr/high-tech/20-mint/4182420-20251030-intelligence-artificielle-va-mettre-tous-salaries-bureau-rue">des modèles d’IA font peser une menace réelle sur des emplois</a> jusqu’alors occupés par des êtres humains. C’est le cas du métier de traducteur, dont le secteur s’inquiète de la <a href="https://www.20minutes.fr/arts-stars/insolite/4192135-20251218-intelligence-artificielle-harlequin-teste-traduction-ia-plan-social-invisible-traducteurs">décision des éditions Harlequin</a> de confier les traductions françaises de leurs ouvrages à un prestataire utilisant massivement l’intelligence artificielle.</p><p>Harlequin, c’est la référence du roman à l’eau de rose, voire coquinou, qui distille ses intrigues amoureuses dans le monde entier depuis la fin des années 1940. La petite maison d’édition canadienne est devenue un géant aux mains du puissant group américain HarperCollins, publiant chaque année un millier de romans traduits dans une trentaine de langues. Une manne pour les traducteurs, notamment Français, qui risque toutefois de se tarir selon le Conseil européen des associations de traducteurs littéraires (CEATL), lequel affirme que Harlequin « passe à grande échelle à la traduction automatique ».</p><figure><iframe title="L'IA menace t-elle les « cols blancs » ?" width="100%" height="100%" src="https://www.ultimedia.com/deliver/generic/iframe/mdtk/01357940/zone/1/src/3xvks03/showtitle/1/" frameborder="0" scrolling="no" marginwidth="0" marginheight="0" hspace="0" vspace="0" webkitallowfullscreen="true" mozallowfullscreen="true" allowfullscreen="true" allow="autoplay" referrerpolicy="no-referrer-when-downgrade"></iframe></figure><h2>« Ça fait déjà deux ans que je ressens les effets de l’IA »</h2><p>Même si HarperCollins nuance, assurant avoir toujours recours « à des traducteurs expérimentés qui s’appuient sur des outils d’intelligence artificielle pour une partie de leur travail », la crise touche néanmoins le secteur. « Ça fait déjà deux ans que je ressens les effets de l’IA sur le métier », explique à <em>20 Minutes</em> Claire Gautier, patronne de l’agence de traducteurs ASAP à Nantes. « Avant, j’avais plusieurs demandes de traduction par jour, aujourd’hui c’est au compte-goutte », déplore-t-elle.</p><p>C’est particulièrement vrai pour « les langues courantes et faciles », comme l’espagnol ou l’anglais explique la professionnelle. « Le nombre de CV que je reçois de traducteurs qui cherchent du travail est inquiétant », poursuit-elle, « et certains avec qui j’avais l’habitude de travailler ont décidé de changer de boulot ».</p><p>Et si la patronne de l’agence ASAP ne conseille pas aux jeunes de se lancer dans cette voie, elle reconnaît quand même qu’en l’état, l’IA n’est pas encore au top. « Pour faire passer les nuances, les sentiments, les textes un peu perchés, les jeux de mots, il faut de l’humain », assure-t-elle. De même que les IA n’ont « pas la réf » et traduiront bêtement une phrase dans laquelle le traducteur, lui, saura capter l’allusion à telle série, film. « J’ai testé chat GPT avec une réf à Games of Thrones qu’il n’a pas comprise, et c’est la même chose avec l’humour », assure Agnès Bousteau, présidente de la Société française des traducteurs (SFT).</p><h2>Des emplois et des vies en jeu ?</h2><p>D’ailleurs, Gemini, l’IA de Google, le reconnaît lui-même, « l’IA est devenue extrêmement fiable pour la précision, mais elle peine encore à égaler la pertinence culturelle et émotionnelle d’un humain ». Pourtant, <a href="https://www.fluent-planet.com/traduction-ecrite/">Fluent planet</a>, le prestataire en test avec Harlequin, promet que les traductions de son outil IA, BrIAn, sont « plus précises, idiomatiques, comprennent mieux le sens et restituent fidèlement le style et les émotions du texte source ». Y compris dans le « ton et l’intention » de l’auteur. « C’est de la com », déplore Agnès Bousteau, « même s’il faut reconnaître les progrès des IA, elles sont encore loin de rivaliser avec la subtilité de l’humain ».</p><p>Si l’utilisation de l’IA menace les emplois des traducteurs littéraires, c’est la vie de personnes qui peut être en jeu dans d’autres cas. « La traduction pragmatique touche tous les domaines, militaire, diplomatie, sécurité informatique, commerce, nucléaire, pharmacie, médical », poursuit la présidente de la SFT. Pour elle, un traducteur est aussi un critique qui va se poser des questions sur le texte. « J’ai eu une traduction médicale dans laquelle il y avait une erreur de source qui évoquait des incisions en centimètres pour des interventions micro-invasives », se souvient-elle. En professionnelle, Agnès Bousteau a « tiqué » et a bien fait, puisque les incisions devaient être en millimètres et non en centimètres. « Une IA ne se serait pas posé la question », affirme-t-elle.</p><p>Comme il ne faut pas prendre pour argent comptant tout ce que raconte une IA, il ne faut pas lui confier une traduction sans repasser derrière. « Plusieurs petites erreurs subtiles peuvent, au final, fausser complètement le message », insiste la présidente de la SFT. « Imaginez les conséquences pour un contrat commercial ou une notice de médicament », ajoute-t-elle. Ce n’est pas pour autant que les traducteurs dans ces domaines sont protégés, y compris dans le cadre de la traduction juridique. Des entreprises offrent d’ailleurs des services dans ce domaine, <a href="https://legal230.com/lutilisation-de-lintelligence-artificielle-pour-la-traduction-juridique/">à l’instar de Legal230</a> avec son outil de traduction juridique Alan, dont le travail est toutefois « systématiquement » relu par « un traducteur expert ».</p><figure> </figure><figure><a href="https://www.20minutes.fr/dossier/intelligence_artificielle">Notre dossier sur l'intelligence artificielle</a></figure><p>« C’est mon domaine et pourtant, personnellement, je ne ferais pas confiance aveuglément à une IA », reconnaît Lionel Prevost, directeur du labo de recherche IA de l’ESIEA. Pour le cas des traducteurs, le chercheur estime que les résultats fournis par les grands modèles de langage (LLM) sont fiables « à 90 % » pour les langues les plus utilisées, comme l’anglais. « Les IA sont faites pour traduire de manière fiable et la plus proche possible du texte original », explique-t-il. En revanche, comme le soulignait Agnès Bousteau, Lionel Prevost insiste sur le fait qu’une IA « n’a pas de sens critique » et qu’elle « traduira le texte qu’on lui demande sans se poser la question s’il contient des erreurs ou pas ».</p>