Pédophilie : Huit ans après sa mise en examen (et ses aveux), un religieux renvoyé devant la justice pour des viols

Published 4 hours ago
Source: 20minutes.fr
Pédophilie : Huit ans après sa mise en examen (et ses aveux), un religieux renvoyé devant la justice pour des viols
<p>Ces derniers mois, la colère s’est teintée d’une profonde inquiétude. Et si le frère Albert Maës, qui fêtera en janvier ses 83 ans, n’était jamais <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/pedophilie">jugé pour les viols et agressions sexuelles qu’il a pourtant reconnus</a> – tout du moins partiellement - au cours de l’instruction ? « Notre principale crainte, c’est qu’il décède avant d’avoir pu répondre de ses actes », s’exaspérait encore récemment Me Frédéric Benoist, avocat de l’association la Voix de l’Enfant. Plus de huit ans après sa mise en examen, <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4179723-20251016-pedocriminalite-eglise-neglige-trop-victimes-selon-rapport-vatican">l’homme d’Église a finalement été renvoyé la semaine dernière devant une cour criminelle</a> pour des viols et agressions sexuelles commis sur des enfants et adolescents guinéens entre 1994 et 2002, a appris <em>20 Minutes</em>.</p><p>Mais l’horizon judiciaire n’est pas totalement dégagé : son avocate, Me Aurélie Chambon, a confié envisager un recours devant la chambre de l’instruction. « Ce n’est pas une manière de gagner du temps mais il y a des règles à respecter en matière de procédure », a-t-elle insisté. Ce recours pourrait retarder l’audiencement du procès. D’ici à ce que celui-ci se tienne, l’ecclésiastique, membre de la congrégation du Sacré-Coeur, est libre, sous contrôle judiciaire. Depuis 2002 et son retour précipité d’Afrique, il vit dans un Ehpad dans la région du Puy-en-Velay. L’unique changement depuis sa mise en examen, en 2017, réside dans le fait d’aller pointer à la gendarmerie une fois tous les quinze jours. « Mon client compose avec ce que décide la justice et son état de santé, c’est un vieux monsieur », insiste sa conseil.</p><figure><iframe title="Pédocriminalité dans l'Eglise: 216.000 victimes depuis 1950 selon le rapport Sauvé" width="100%" height="100%" src="https://www.ultimedia.com/deliver/generic/iframe/mdtk/01357940/zone/1/src/qx0kkuu/showtitle/1/" frameborder="0" scrolling="no" marginwidth="0" marginheight="0" hspace="0" vspace="0" webkitallowfullscreen="true" mozallowfullscreen="true" allowfullscreen="true" allow="autoplay" referrerpolicy="no-referrer-when-downgrade"></iframe></figure><h2>Exfiltration express</h2><p>Pour comprendre l’affaire, il faut remonter le temps et traverser la Méditerranée. En 2002, les autorités guinéennes commencent à s’intéresser aux rumeurs de plus en plus insistantes visant le frère Albert Maës, une personnalité en vue de Conakry. Cet <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4081459-20240315-pedocriminalite-eglise-489-victimes-deja-obtenu-reparation-financiere">ecclésiastique français, arrivé dans le pays en 1992, se servirait de son statut</a> – il est à la tête d’une des écoles privées les plus réputées de la capitale ainsi que d’un club de foot local – pour <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4186850-20251120-affaires-betharram-stanislas-bientot-proposition-loi-proteger-enfants-violences-ecole">abuser des jeunes garçons</a>. Mais avant même que la justice locale ait pu l’entendre, il est rapatrié en urgence en France par sa hiérarchie et placé dans la maison de retraite dans lequel il se trouve toujours. « Cette affaire illustre la manière dont les <a href="https://www.20minutes.fr/faits_divers/4185661-20251114-alsace-fugitif-parmi-plus-recherches-etats-unis-arrete-france-apres-cavale-14-ans">autorités du Vatican ont protégé et aidé des pédocriminels</a>. Il est impératif de faire la lumière sur l’aide et l’assistance dont ont bénéficié des hommes comme Albert Maës », insiste Me Frédéric Benoist.</p><p>En France, le scandale éclate en 2017 après une <a href="h<em>ttps://www.20minute</em>s.fr/dossier/cash_investigation">enquête de Cash Investigation</a> sur la manière dont l’Église organise l’exfiltration d’un continent à l’autre des religieux soupçonnés de pédophilie. Apprenant qu’une enquête était en cours, la congrégation adresse en août 2016 un courrier recommandé au procureur de la République de Mende – l’affaire sera par la suite transmise au parquet de Clermont-Ferrand - pour dénoncer les actes de pédophilie du frère Maës. Si les investigations de part et d’autre de la Méditerranée éclairent - en partie - la longueur de l’instruction, comment expliquer ces quinze années d’impunité depuis son retour en France ? Deux courriers avaient été envoyés en 2003 et en 2006 à la justice par les supérieurs du frère Maës, mais par simple lettre envoyée au tribunal. Des missives qui se sont perdues sans que cela semble inquiéter outre mesure les autorités religieuses.</p><h2>Un mode opératoire bien rodé</h2><p>Dès 2017, deux victimes guinéennes déposent plainte devant la justice française. Une commission rogatoire permet d’en identifier deux autres. Toutes décrivent ce qui ressemble à un mode opératoire bien rodé : le frère Maës - rencontré au sein du collège ou du club de foot qu’il dirige - les a d’abord pris sous son aile avant de leur imposer des relations sexuelles. En « contrepartie », il leur promet de les scolariser, de les aider à faire carrière dans le football ou leur verse de l’argent. Les investigations ont mis en lumière que le religieux avait fait plus de 811 virements sur tout le continent africain, à plus de 40 bénéficiaires. Montant estimé : 110.595 euros. De l’argent détourné d’une association de charité de la congrégation, ce qui lui a valu une peine de six mois de prison avec sursis.</p><p>Placé en garde à vue en septembre 2017, l’ecclésiastique reconnaît avoir commis des « actes de pédophilie », se servant notamment de son « aura » pour attirer de jeunes garçons qu’il désigne comme des « esclaves sexuels ». Mais tout au long de l’instruction, il minimise les faits, parlant d’ « étreintes sans baiser » alors que les victimes évoquent toutes des fellations et des sodomies. Il affirme que ses « partenaires » avaient plus de 15 ans, alors que les premiers faits dénoncés ont été commis lorsqu’ils avaient une dizaine d’années. Le religieux jure enfin que les mineurs étaient « consentants », estimant même qu’il s’agissait d’une relation amoureuse. Reste une question et non des moindres : combien de victimes a-t-il laissées derrière lui ? En garde à vue, il a estimé avoir eu des relations sexuelles avec une quinzaine de jeunes guinéens avant de revenir sur ce chiffre, évoquant des « gestes d’affection » pour certains.</p><h2>« En Guinée, je me suis senti pousser des ailes »</h2><p>Et auparavant ? En 1975, alors qu’il est responsable de l’internat d’un établissement scolaire religieux de Langres, en Haute-Marne, Albert Maës a fait l’objet d’un signalement auprès de sa hiérarchie. A l’époque, les faits avaient été qualifiés « d’atteinte à la pudeur ». Aujourd’hui, on les désignerait sous le terme d’agression sexuelle : il imposait la nuit des attouchements et des masturbations à certains élèves. Il a alors 32 ans. Dès la rentrée suivante, il part enseigner en Afrique. Avant de s’envoler pour la Guinée en 1992, il passera près de quinze ans à la tête de plusieurs collèges catholiques en Côte d’Ivoire. De cette période, aucun témoignage n’a émergé. Interrogé en 2024 par <em><a href=</em>"https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/05/24/en-guinee-je-me-suis-senti-pousser-des-ailes-je-pouvais-abuser-itineraire-d-un-religieux-pedocriminel-entre-la-france-et-l-afrique_6235208_3212.html">Le Monde,</a> le prêtre assure qu’il ne s’est « rien » passé. « Je n’étais pas en charge de l’internat comme à Langres, ni en position de tout contrôler. En Guinée, je me suis senti pousser des ailes. Je pouvais abuser. J’étais intouchable », a-t-il alors expliqué au quotidien.</p><p>Albert Maës encourt vingt ans de réclusion criminelle. Une peine théorique car à son âge, l’homme bénéficiera - s’il est condamné - d’un aménagement de peine. Mais ça, l’un des deux premiers plaignants dans ce dossier vertigineux n’en saura rien : il est décédé des suites d’une longue maladie en 2024. Vingt-deux ans après que l’affaire a éclaté en Guinée, donc. Et sept ans après la mise en examen du religieux.</p>