Guerre en Ukraine : Comment le site de paris en ligne Polymarket transforme le front en tapis de jeu

Published 2 hours ago
Source: 20minutes.fr
Guerre en Ukraine : Comment le site de paris en ligne Polymarket transforme le front en tapis de jeu
<p>« La <a href="https://www.20minutes.fr/monde/russie/">Russie </a>va-t-elle capturer Myrohrad avant le 15 janvier ? ». Plus de 860.000 dollars américains ont déjà été misés sur cette petite ville ukrainienne, située dans l’oblast de Donetsk. Une localité proche de Pokrovsk dont le nom, ironiquement, se traduit par « ville de la paix ». Ces paris insensés, on les retrouve sur <a href="https://www.20minutes.fr/economie/4167021-20250809-polymarket-plateforme-permet-parier-tout-surtout-importe-quoi">Polymarket, plateforme en ligne de prédiction</a> où les parieurs misent sur une myriade d’évènements différents. De la mort du pape aux ruptures de célébrités, en passant par la <a href="https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/">guerre en Ukraine</a>, donc, les joueurs se reposent sur l’actualité dans l’espoir de s’enrichir.</p><p>Malgré <a href="https://polymarket.com/tos">l’interdiction de l’utilisation de Polymarket dans de nombreux pays</a> dont la France, ces paris constituent une véritable manne financière. Plus de 60 millions de dollars ont ainsi été pariés sur la probabilité (ou non) d’un accord de cessez-le-feu entre l’Ukraine et la Russie en 2025. L’intérêt des internautes pour les mises sur le conflit est tel que fin novembre, l’outil de visualisation des paris Polyglobe s’est doté d’une carte en temps réel du front. « La carte de guerre en Ukraine de DeepStateLive est désormais superposée directement au globe, en direct et synchronisée avec Polymarket »,<a href="https://x.com/pizzintwatch/status/1993346450084778439"> se félicitait alors Pentagon Pizza Watch</a>, à l’origine du projet Polyglobe, sur X.</p><figure><iframe title="Nicolas, a failli mourir à cause des paris sportifs" width="100%" height="100%" src="https://www.ultimedia.com/deliver/generic/iframe/mdtk/01357940/zone/1/src/3qf5mxz/showtitle/1/" frameborder="0" scrolling="no" marginwidth="0" marginheight="0" hspace="0" vspace="0" webkitallowfullscreen="true" mozallowfullscreen="true" allowfullscreen="true" allow="autoplay" referrerpolicy="no-referrer-when-downgrade"></iframe></figure><h2>Quand le front devient un terrain de jeu</h2><p>Cette carte, qui va jusqu’à montrer la position de certaines troupes ukrainiennes et russes, a provoqué une vague d’indignation en ligne. « De vraies personnes meurent, de vraies villes sont détruites. [Elles sont] réduites à des chiffres et des lignes sur un écran pour que vous puissiez… faire des paris ? », s’indignait <a href="https://x.com/c10ned/status/1993622552267149645">ainsi un membre de X après cette annonce</a>. Nombre d’observateurs ont dénoncé une « gamification » du conflit où de véritables drames sont transformés en jeux d’argent et, donc, en amusement pour celles et ceux qui y participent.</p><p>« Cette mise à jour n’a pas été conçue pour transformer les conflits en jeux, glorifier la destruction ou banaliser la vie humaine », s’est défendu Pentagon Pizza Watch (PPW), en charge <a href="https://www.pizzint.watch/polyglobe">du projet Polyglobe de Polymarket</a>. DeepState, dont la carte était reprise par Polyglobe, a dénoncé une utilisation non autorisée de ses données, poussant l’interface à renoncer à cette source.</p><p>Si Polyglobe ne se repose donc plus cet outil de mise à jour en temps réel, les données du front sont régulièrement actualisées via d’autres sources accessibles en ligne et restent extrêmement précises. Et ce, uniquement pour permettre aux joueurs de parier sur la prise de villages. Des offensives qui se font au prix de la vie de nombreux combattants ukrainiens. « Les soldats sur le front en Ukraine sont au courant de ce qui se passe [avec Polymarket] et ils sont bouleversés », <a href="https://www.npr.org/2025/12/14/nx-s1-5640035/on-online-prediction-markets-people-place-bets-on-the-outcomes-of-real-life-wars">témoignait le journaliste Matthew Gault</a> sur NPR mi-décembre.</p><h2>Prendre la température des évènements</h2><p>Créé en 2020 par l’Américain Shayne Coplan, alors âgé de 24 ans, <strong>Polymarket fonctionne comme un site de pari classique : les utilisateurs empochent des gains financiers si leurs prévisions se révèlent exactes. </strong>« La mission de Polymarket est de servir de source d’information alternative, en s’appuyant sur l’intelligence collective pour obtenir des prévisions en temps réel et impartiales sur les sujets les plus importants », <a href="https://www.nbcnews.com/tech/internet/polymarket-online-bet-submersible-russia-war-rcna93122">expliquait le site à NBC News en juillet 2023</a>. Contacté par <em>20 Minutes, </em>le site, qui se présente comme un contrepoids à la « désinformation » et au « journalisme sensationnaliste », n’a pour le moment pas répondu à nos sollicitations.</p><p>« Les gens considèrent les paris comme un indicateur particulièrement précis de la façon dont les &quot;initiés&quot; évaluent les probabilités d’un événement, [tel que] l’issue d’une guerre. Ils donnent l’illusion de recevoir des informations actualisées sur les conflits qui ne peuvent être &quot;manipulées&quot;, car les gens ne parieraient pas d’argent sur une éventualité sans disposer d’informations plus concrètes », décrypte Lena Liapi, professeure en histoire européenne moderne à l’université Aristote de Thessalonique, en Grèce<em>.</em></p><p>Ce discours sur les tendances « réelles » des grands évènements géopolitiques actuels s’avère fréquent en ligne. « Si vous vivez dans un monde où vous ne faites pas confiance aux médias ou dans un pays contrôlé par l’Etat, il est utile de voir les probabilités &quot;réelles&quot; que ce type d’événements se produise »<a href="https://x.com/Tyler_Did_It/status/1840748279664918961">, estimait ainsi un internaute sur X</a>.</p><h2>Immoraux de la Rome antique à la blockchain</h2><p>Pourtant, ces prédictions de marché ne s’avèrent pas toujours exactes. « A la fin du XVIIe siècle en Angleterre, les paris liés à la guerre de Neuf Ans étaient rapportés par les journaux comme des informations dignes d’intérêt et considérés comme des indicateurs non seulement de l’évolution du conflit, mais aussi de l’opinion publique à son sujet », rapporte Lena Liapi, autrice du chapitre <em>Parier sur l’information : désinformation et politique dans l’Europe du début de l’époque moderne. </em>« Le public croyait que les paris reflétaient l’état d’esprit du pays ». Pourtant, « ce n’était pas nécessairement le cas », ajoute-t-elle.</p><p>Plus surprenant encore, il existe des traces de mises moralement discutables bien avant le XVIIe siècle. « Dès le XVe siècle, la ville de Gênes avait interdit les paris sur l’issue des batailles et des sièges », souligne Lena Liapi. Mais les premiers paris sur les opérations militaires pourraient être bien plus anciens. La Rome antique avait, par exemple, une <a href="https://imperiumromanum.pl/en/roman-society/entertainment-in-ancient-rome/gambling-of-ancient-romans/">véritable culture du jeu de hasard</a>, certainement appliquée aux conflits armés de l’époque. Les sommes engagées ont toutefois explosé avec « le développement des marchés boursiers », note Lena Liapi.</p><p>Malgré les critiques, ces marchés de prédiction continuent de prospérer dans une zone grise juridique. À Myrohrad, les combats continuent à faire rage, indifférents aux courbes de Polymarket. Car si, pour les joueurs, la guerre se résume à des probabilités et des dollars, pour ceux qui la vivent, elle demeure une question de survie.</p>