Pourquoi la France a-t-elle besoin des Emirats arabes unis dans la « guerre » contre le narcotrafic ?

Published 3 hours ago
Source: 20minutes.fr
Pourquoi la France a-t-elle besoin des Emirats arabes unis dans la « guerre » contre le narcotrafic ?
<p>C’était l’un des gros dossiers sur la table à l’occasion de la visite d’<a href="https://www.20minutes.fr/politique/emmanuel-macron/">Emmanuel Macron</a> aux <a href="https://www.20minutes.fr/politique/4192605-20251221-emmanuel-macron-arrive-emirats-arabes-unis-feter-noel-avance-forces-francaises">Emirats arabes unis dimanche et lundi</a> : l’appui du pays du Golfe dans la « guerre » qu’entend mener la France contre le <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/trafic_de_drogue">trafic de drogue</a>. Pour aborder le sujet, le président était accompagné d’une délégation composée notamment du ministre de la Justice, <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/gerald_darmanin">Gérald Darmanin</a>, de <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4185152-20251112-narcotrafic-vanessa-perree-pressentie-diriger-futur-parquet-anticriminalite-organisee">Vanessa Perrée, future procureure nationale contre le crime organisé</a> ou encore de Nicolas Bessone, procureur de <a href="https://www.20minutes.fr/marseille/">Marseille</a>.</p><p>En novembre, quelques jours après <a href="https://www.20minutes.fr/faits_divers/faits-divers-marseille/4186428-20251118-obseques-mehdi-kessaci-choquee-apeuree-marseille-essuie-larmes-sous-haute-surveillance">la mort de Mehdi Kessaci à Marseille</a>, frère d’<a href="https://www.20minutes.fr/societe/4186802-20251122-narcotrafics-amine-kessaci-iconisation-essentielle-lutte-contre-trafic-drogue">Amine Kessaci</a>, le garde des Sceaux s’était déjà rendu sur place pour parler narcotrafic, érigé en urgence nationale. « Notre engagement réciproque a porté ses fruits : depuis le début de l’année, <a href="https://www.20minutes.fr/faits_divers/4186582-20251119-drogue-darmanin-reclame-emirats-arabes-extradition-quinzaine-narcotrafiquants-recherches-france">14 grands narcotrafiquants</a> ont été interpellés puis extradés vers la France pour y être incarcérés », avait-il annoncé sur son compte X. « Alors qu’aucune extradition de narcocriminel n’avait eu lieu depuis 2020 », précisait-il.</p><p>Paris avait aussi dressé une liste de « plusieurs dizaines de millions d’euros de patrimoine » sur le sol émirien appartenant à des criminels. Fin novembre, Gérald Darmanin a officialisé la saisie de 82 appartements liés à des dossiers de trafic marseillais.</p><h2>Un refuge pour narcotraficant</h2><p>Si la lutte contre le trafic semble passer désormais par le pays du Golfe, c’est parce que ce dernier sert de refuge à des <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/narcotrafiquants">narcotrafiquants</a> depuis des années. « Nous observons que plusieurs des personnes que nous recherchons, soit dans le cadre d’une information judiciaire, soit parce qu’elles ont été jugées et condamnées, sont résidentes aux Émirats arabes unis et plus particulièrement à <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/dubai">Dubaï</a> », confirmait ainsi Eric Serfass, procureur adjoint chargé de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) au micro de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-question-du-jour/narcotrafic-dubai-va-t-il-enfin-cooperer-avec-la-france-9728945">France Culture</a>.</p><p>Il existe pourtant un lien de coopération judiciaire entre Paris et <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/abou_dhabi">Abou Dabi</a> qui n’est pas nouveau. « La première signature d’une convention d’entraide judiciaire remonte au 9 septembre 1991 », rappelle Yann Bisiou, maître de conférences à l’université de Montpellier Paul-Valéry et spécialiste du droit des stupéfiants et de la lutte contre les drogues, évoquant « une tradition de coopération judiciaire et policière ». En 2007, une convention d’extradition est venue compléter le dispositif.</p><h2>Des règles souples</h2><p>Néanmoins, pour Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques et spécialiste du Moyen-Orient, si les regards sont tournés vers les Emirats, c’est que le pays ne « jouait pas le jeu jusqu’à maintenant ». « Les Emirats arabes unis sont régulièrement dans la liste noire européenne de <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/paradis_fiscaux">paradis fiscaux</a> et ils accueillent tous ceux dont l’argent les intéresse », assure-t-il. L’Etat fédéral, qui regroupe sept émirats dont Dubaï, appâte tout un « écosystème » : des influenceurs peu scrupuleux du droit aux personnalités sous le coup de sanctions internationales, en passant par des anciens dictateurs, pour le spécialiste. « Les émirats attirent ces individus, venus de tous pays, parce qu’il n’y a pas de législation restrictive ou stricte sur l’origine des fonds. »</p><p>Dubaï « propose ainsi aux investisseurs potentiels des taux d’imposition pratiquement nuls, ainsi qu’un secret bancaire absolu et une curiosité limitée pour l’origine des fonds placés dans l’émirat », appuie <a href="https://www.20minutes.fr/politique/4119495-20241104-narcotrafic-urgence-politique-elus-locaux-souvent-crans-demunis">le rapport « sur l’impact du narcotrafic »</a> des sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc, publié en 2024.</p><h2>« Effet de mode »</h2><p>Pour autant, le vent semble tourner depuis quelques mois. Depuis janvier, date à laquelle une liste de 27 « cibles prioritaires » avait été transmise aux autorités émiriennes, le nombre d’extradition vers la France s’élève à 17, selon l’entourage du ministre de la Justice. Parmi eux, on retrouve <a href="https://www.20minutes.fr/faits_divers/4159517-20250620-drogue-bibi-narcotrafiquant-atterri-paris-provenance-dubai">Abdelkader Bouguettaia, dit « Bibi »</a>, extradé de Dubaï vers la France en juin ou encore Mehdi Charafa, impliqué dans des affaires de trafic de drogue et de blanchiment, extradé en février.</p><p>Est-ce la fin de l’impunité sous le soleil du Golfe ? « Ceux qui sont vraiment concernés ont déjà déménagé, ils ont transféré leur fond, déplore Yann Bisiou. C’est une course qui est aussi perdue d’avance : si on les empêche d’être à Dubaï, ils iront en <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/malaisie">Malaisie</a>, au <a href="https://www.20minutes.fr/monde/cambodge/">Cambodge</a>, en <a href="https://www.20minutes.fr/monde/colombie/">Colombie</a>… » Il pointe par ailleurs une forme « d’effet de mode » chez les trafiquants, qui privilégiaient par exemple la <a href="https://www.20minutes.fr/monde/thailande/">Thaïlande</a> à une époque.</p><figure> </figure><p>L’extradition et la saisie des biens peuvent être « utiles », selon lui, « mais s’appliquent sur une part faible du trafic et des trafiquants ». « Le criminel concerné va être contraint de cesser son activité et perdre beaucoup. Mais d’autres vont prendre sa place, analyse-t-il. C’est un capitalisme débridé. Tant que vous ne limitez pas le marché, vous aurez des acteurs ».</p>