Bardella, Sarkozy… Comment Fayard, propriété de Bolloré, inonde certaines librairies et fausse le marché du livre

Published 2 days ago
Source: 20minutes.fr
Bardella, Sarkozy… Comment Fayard, propriété de Bolloré, inonde certaines librairies et fausse le marché du livre
<p>« En prison, il n’y a rien à voir, et rien à faire. » C’est en commençant par ses mots qu’il y a quelques mois, <a href="https://www.20minutes.fr/politique/4190060-20251206-laitages-bic-prieres-nicolas-sarkozy-revele-coulisses-passage-prison">le nouveau livre</a> de l’ancien président, <a href="https://www.20minutes.fr/politique/nicolas_sarkozy/">Nicolas Sarkozy</a>, a été présenté aux libraires par le distributeur Hachette, propriété de <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/vincent_bollore">Vincent Bolloré</a>, chargé de commercialiser tous les titres des maisons d’édition du groupe. Dont ceux de <a href="https://www.20minutes.fr/arts-stars/culture/3043551-20210517-fayard-publiera-juin-edition-critique-mein-kampf-intitulee-historiciser-mal">Fayard</a>, également éditeurs des ouvrages de <a href="https://www.20minutes.fr/justice/4120447-20241108-jordan-bardella-va-avoir-deuxieme-chance-faire-pub-livre-metro">Jordan Bardella</a>, du penseur d’extrême droite,<a href="https://www.20minutes.fr/arts-stars/livres/4144118-20250318-penseur-extreme-droite-alain-benoist-edite-fayard-appartient-groupe-bollore"> Alain de Benoist</a>, d’<a href="https://www.20minutes.fr/dossier/eric_zemmour">Éric Zemmour</a>, et bientôt, de Marlène Schiappa.</p><p>« Fayard, c’est vraiment le véhicule politique de Bolloré. Hachette en est l’instrument financier. Et tout ça participe à une stratégie politique plus globale de visibilité », analyse Silvio Abbaz, gérant de la librairie Le Déluge à Sisteron, en Provence-Alpes-Côte d&#x27;Azur. Installé depuis septembre 2025, il explique avoir décidé, contrairement à d’autres, de s’établir « en indépendant », et de s’affranchir de la plupart des livres proposés par Hachette, estimant le distributeur « soumis à une idéologie politique ». Dans ses rayons donc, nulle trace du dernier Sarkozy ou d’un ancien Zemmour. « Tous les ouvrages qui se trouvent dans ma librairie, c’est moi qui les ai choisis, explique-t-il. En revanche, je n’ai pas le droit de refuser une vente. Donc si on me demande le livre de Jordan Bardella, même si je ne l’ai pas en rayon, je suis forcé d’accepter la commande. »</p><h2>Un levier économique et sociologique puissant</h2><p>A l’inverse, comme souvent au rayon « livres » de la Fnac, en bonne place, s’étalent plusieurs « best-sellers » de la maison Fayard. En tête, à peine sorti de son carton, le dernier ouvrage de Nicolas Sarkozy trône déjà dans un « top 5 » dont on ne sait pas bien s’il s’agit de celui de l’enseigne ou d’un top des ventes nationales. « Grâce à un logiciel utilisé par les libraires, je peux voir quels sont les livres les plus vendus. Et je peux vous assurer, par exemple, que les livres de Jordan Bardella n’ont jamais été dans le top 5 des meilleures ventes en France », affirme Silvio Abbaz.</p><p>Une stratégie très largement éprouvée, mais qui permet de booster les ventes de certains ouvrages qui, pour certains, n’atteindront jamais le podium. Résultat : l’effet d’optique est presque parfait, la fréquentation des gros points de vente étant très importante. « En fait, c’est ce qu’on appelle, dans le milieu de l’édition, des &quot;short-sellers&quot; », explique Hélène Seiler-Juilleret, éditrice et chercheuse en sociohistoire de la culture et des professions, en particulier sur les métiers du livre. L’inverse des « long-sellers » portés par les plus petites maisons d’édition et les librairies indépendantes.</p><p>Pour la chercheuse, ces livres portés par Fayard et très largement mis en avant dans les catalogues de son distributeur Hachette, sont des « livres jetables » qui permettent de grossir la ligne éditoriale. « La distribution dans le domaine du livre est un levier économique et sociologique extrêmement puissant. Ce n’est pas un hasard si les grands groupes d’édition ont très tôt investi <a href="https://fill-livrelecture.org/wp-content/uploads/2021/12/guide_edition_diff-distrib_web.pdf">le milieu de la diffusion et de la distribution.</a> Ça leur a permis d’étendre leur mainmise sur une partie des librairies et des éditeurs, en France », assure-t-elle.</p><h2>Une domination difficile à contourner</h2><p>Production à court terme, rotation rapide et en grande quantité, délais de livraison imbattables, le mécanisme est bien rodé et permet de gagner en visibilité. « Et tant pis si ça ne se vend pas puisque ces grands groupes pratiquent le pilonnage, donc la destruction des invendus, à grande échelle. Même si c’est un non-sens éditorial et écologique », détaille, un brin agacée, Hélène Seiler-Juilleret.</p><p>D’autant que le catalogue d’Hachette a très largement grossi au fil des ans. Hormis Fayard, qui publie en moyenne 200 livres par an quand les petites et moyennes maisons d’édition en publient à peine quatre, le distributeur peut se targuer d’avoir en son sein des maisons aussi diverses et reconnues que Grasset, Dunod ou encore Le livre de poche. En tout, Vincent Bolloré possède <a href="https://desarmerbollore.net/news/carte-des-maisons-d-editions-et-medias-de-l-empire-bollore">plus de cinquante maisons d’édition</a>, toutes regroupées sous la marque Hachette Livre, <a href="https://www.livreshebdo.fr/sites/default/files/2023-09/Classement%202023%20des%20e%CC%81diteurs%20franc%CC%A7ais.pdf">plus gros éditeur de France</a>, qui distribue 40 % de l’édition française. « C’est une domination dont il est dur de se prémunir lorsqu’on est libraire. Car il y a malgré tout deux ou trois livres édités par le groupe Hachette dont je ne peux pas me passer », confirme Silvio Abbaz.</p><p>Dans le milieu du livre, le groupe Hachette est également réputé pour pratiquer des remises sur les ouvrages peu avantageuses quand elles s’adressent aux libraires indépendants. Alors que la remise maximale pratiquée en France est de 40 %, le distributeur ne propose jamais plus de 32 % aux petits libraires qu’elle estime moins apte à vendre de gros volumes. Tandis qu’un distributeur de même envergure acceptera de monter jusqu’à 36 %, « comme c’est le cas d’Editis », indique Alexandra Charroin Spangenberg, présidente du Syndicat de la librairie française (SLF), elle-même libraire. Une autre grosse pointure du milieu de la distribution, et ancienne propriété de… Vincent Bolloré.</p><p>Un écart de 4 points qui, pour un petit point de vente, peu faire la différence. « Je ne connais pas les remises accordées à Amazon ou aux grandes surfaces spécialisées dont la Fnac fait partie, qui, eux, ont des contrats très spécifiques, mais je sais qu’ils ont des remises largement supérieures aux nôtres », assure cette dernière.</p><h2>« Tout le monde est interdépendant »</h2><p>Dans <a href="https://biblio.helmo.be/opac_css/doc_num.php?explnum_id=17310">ces contrats</a> passés avec les librairies, bien souvent, figure une obligation pour le signataire de mettre en rayon un minimum d’exemplaires des livres régulièrement envoyés dans d’énormes cartons par le groupe d’édition. Dedans, les livres à mettre en avant ont été scrupuleusement choisis par le distributeur lui-même. Alors, pour éviter d’avoir à gérer trop d’invendus, certains libraires choisissent de les mettre en tête de gondole, par défaut. L’emprise est totale. Mais les dysfonctionnements du marché du livre ne sont, d’après la présidente du SLF, pas seulement la faute des grands groupes. « Dans le milieu du livre, les problèmes des libraires et des éditeurs face aux diffuseurs et distributeurs ne sont pas la faute d’un acteur en particulier. Tout le monde est interdépendant », reconnaît-elle.</p><p>Le fait est qu’aujourd’hui, grâce à la puissance de Hachette Livre, les ouvrages des éditions Fayard jouissent d’emplacements de choix dans les grandes enseignes, et dans les gares de France, les boutiques Relay appartenant également à Vincent Bolloré. Mais également chez de plus petits libraires qui ne peuvent parfois pas se permettre de faire l’impasse sur des livres d’actualité, comme celui de Nicolas Sarkozy, au risque de perdre des ventes.</p><p>Sollicités à plusieurs reprises, ni Hachette Livre, ni la Fnac n’ont souhaité répondre.</p>