Guerre en Ukraine : Comment la Lituanie a mis à l’abri 800 œuvres d’art avec l’aide d’une organisation paramilitaire

Published 3 hours ago
Source: 20minutes.fr
Guerre en Ukraine : Comment la Lituanie a mis à l’abri 800 œuvres d’art avec l’aide d’une organisation paramilitaire
<p>Sur le papier, rien ne semble rapprocher le clair-obscur de <em>L’argent versé </em>de Georges de La Tour et les couleurs criardes d’<em>Un tas de fleurs rouges le jour de l’armée de lecture</em> de Maria Primatchenko. Pourtant, ces deux peintures partagent désormais une histoire commune. Ils ont été exfiltrés <a href="https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/">d’Ukraine </a>et recueillis par le <a href="https://www.lndm.lt/en/">Musée national d’art de Lituanie</a>. L’institution publique s’est donné pour mission de rapatrier, restaurer et conserver ces tableaux menacés par la Russie. Au total, depuis février 2022, pas moins de 800 œuvres ont ainsi été mises en sécurité.</p><p>Dans les couloirs du Centre de conservation Pranas-Gudynas, le directeur du Musée national d’art de <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/lituanie">Lituanie</a>, Arūnas Gelūnas, évoque ce travail avec passion. « Dès les premiers jours de la guerre, nous avons demandé à nos partenaires ukrainiens s’ils souhaitaient que nous évacuions leurs collections pour préserver les chefs-d’œuvre. Mais la phase de la guerre était alors trop intense, il a fallu attendre », se souvient cet homme élégant, dont les yeux pétillent lorsqu’il parle d’<a href="https://www.20minutes.fr/dossier/art">art</a>.</p><h2>Cette invasion, c’est aussi « notre guerre »</h2><p>L’ancien ministre de la Culture l’assure, le sort des Ukrainiens « résonne très fortement » dans le cœur des Lituaniens. A Vilnius, la guerre en Ukraine semble s’infiltrer partout. De la kyrielle de drapeaux bleu et jaune qui décore les façades des immeubles aux œuvres affichées dans les musées, <a href="https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/4189763-20251207-guerre-ukraine-cookies-rechauffer-soldats-lituanie-saint-nicolas-tourne-vers-front">l’amitié entre la Lituanie et l’Ukraine saute aux yeux</a>. « Nous avons la sensation que ce n’est pas seulement la guerre en Ukraine, mais notre guerre. <a href="https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/4190755-20251212-lituanie-bon-voyage-surtout-evitez-ballons-aeroport-vilnius-trouble-contrebande-bielorusse">L’Ukraine est cette frontière qui nous protège</a> nous les pays baltes, de la Russie », explique le quinquagénaire en réajustant ses lunettes à monture noire.</p><p>La Lituanie a, elle aussi, connu l’ère soviétique, ainsi qu’une invasion russe, il y a une trentaine d’années. En janvier 1991, un peu moins d’un an après l’indépendance de la Lituanie, des troupes soviétiques pénètrent dans le pays. A Vilnius, 14 civils sont abattus. Encore aujourd’hui, le pays commémore ces évènements tous les 13 janvier.</p><figure><img src="https://img.20mn.fr/w2lFvJKySXKqVtxOHII4OSk/960x0_media.jpg" alt="[object Object]"></figure><h2>Des convois protégés par une organisation paramilitaire</h2><p>Cette histoire et cette peur communes ont naturellement poussé la Lituanie à se rendre au chevet de sa voisine de l’Est, notamment dans le domaine artistique. Dès avril 2022, le Musée national d’art lituanien envoie 4.500 euros de matériel à ses homologues ukrainiens afin qu’ils aient de quoi protéger leurs œuvres avec des emballages adaptés et des extincteurs en cas d’incendies. Depuis le début de l’invasion russe, l’Unesco a recensé <a href="https://www.unesco.org/fr/articles/sites-culturels-endommages-en-ukraine-confirmes-par-lunesco">plus de 500 sites culturels endommagés, dont 34 musées</a>. Après le retrait russe de la région de Kiev, l’extraction de tableaux ukrainiens s’organise. « Les objets d’art ont voyagé dans des camions de Kiev à Lviv, puis de Lviv jusqu’en Pologne et enfin, jusqu’à Vilnius, en Lituanie », explique Arūnas Gelūnas.</p><figure> </figure><p>Pour protéger les œuvres et les convois, ils sont accompagnés de volontaires membres de L’Union des Tireurs, une organisation paramilitaire lituanienne. « Le transport d’œuvres est mis en danger par les attaques militaires, mais l’une des difficultés vient aussi des obstacles bureaucratiques, nombreux en temps de guerre. Il y a beaucoup de blocages, de contrôles à la frontière et en amont, tout cela prend beaucoup de temps », explique le directeur du musée. Et d’ajouter : « Seuls les appels de diplomates et de politiciens qui ont des contacts directs aident à faciliter la logistique et l’obtention de documents. »</p><h2>Un « service de réanimation » pour tableaux</h2><p>Le Musée national d’art de Lituanie s’adapte à l’afflux imprévisible d’œuvres ukrainiennes,<a href="https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/4190335-20251209-guerre-ukraine-refugiees-lituanie-maria-famille-vu-optimisme-user-fil-mois"> désormais réfugiés </a>en son sein. Skaistis Mikulionis, le conservateur en chef des expositions, fait la liaison avec l’Ukraine, tandis qu’une équipe de 72 personnes s’attelle à la restauration des œuvres rapatriées. C’est d’autant plus important pour les peintures de l’artiste folklorique ukrainienne Maria Primatchenko. Vingt-cinq de ses tableaux ont été détruits par <a href="https://www.konbini.com/arts/guerre-russie-ukraine-le-musee-divankiv-et-sa-collection-brules-par-linvasion-russe/">des bombardements russes sur le musée d’Ivankiv</a>, la ville natale de cette artiste admirée par Pablo Picasso. Mais sur la conservation, le directeur l’assure : aucune œuvre ukrainienne n’a montré de difficulté particulière pour les experts du Centre de conservation Pranas Gudynas.</p><p>« Nos restaurateurs ont déjà travaillé avec des œuvres lituaniennes dont le degré de destruction était extrême, à cause de l’humidité ou des conditions de conservation. Ici, c’est comme un excellent service de réanimation hospitalier, mais pour les œuvres d’art ! » Les équipes doivent se réorganiser au gré des arrivées et montent huit expositions non planifiées rien qu’en 2023. Les membres du musée ont même monté en urgence des murs temporaires pour exposer les peintures ukrainiennes, dans un espace « initialement prévu pour les conférences ou les évènements ». « C’est sûr que c’est fatigant, sourit Arūnas Gelūnas. Mais ce n’est rien face à ce que vivent nos <a href="https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/4186843-20251127-mettre-avant-poesie-heroique-militaire-convaincu-poetes-ukrainiens-ecrire-horreur">collègues d’Ukraine</a>. »</p><p>Et si la guerre cesse enfin ? « Ces œuvres rentreront immédiatement en Ukraine, assure Arūnas Gelūnas. Sauf s’ils ont besoin d’un peu de temps pour préparer les espaces détruits par les bombardements, dans ce cas, nous attendrons qu’ils soient prêts, bien entendu. » En attendant, ces œuvres picturales s’offrent une parenthèse loin des bombes. Comme des milliers d’Ukrainiens, elles vivent un exil temporaire. Et vous pouvez même admirer l’une d’entre elles jusqu’au 22 février 2026. <em>L’Argent versé</em> de Georges de La Tour est exposé <a href="https://www.musee-jacquemart-andre.com/fr/georges-tour?srsltid=AfmBOoq3gTc01oIblxoa0MiZ-N8T0k2JMwpcN2gbI_Pum_9EhdymeKN6">au musée Jacquemart-André</a> à Paris, bien loin de Lviv.</p>