Mais pourquoi les associations écologistes s’opposent-elles à ce méga-projet d’usine de biocarburants près de Pau ?

Published 2 hours ago
Source: 20minutes.fr
Mais pourquoi les associations écologistes s’opposent-elles à ce méga-projet d’usine de biocarburants près de Pau ?
<p>Elles ne veulent pas voir les <a href="https://www.20minutes.fr/economie/auto/4020425-20230125-carburants-consommation-bioethanol-explose-2022">biocarburants</a> prendre leur envol. Plusieurs associations environnementales - Forêts Vivantes Pyrénées, Greenpeace Bordeaux, Extinction Rébellion… - ont organisé le 11 décembre dernier une « mobilisation citoyenne » à l’<a href="https://www.20minutes.fr/bordeaux/4099339-20240703-bordeaux-nouveau-visage-aeroport-dessine">aéroport de Bordeaux-Mérignac</a>. Leur but : dénoncer un projet d’usine de biocarburant, à destination notamment du secteur aéronautique, sur le <a href="https://www.20minutes.fr/economie/4024221-20230217-pyrenees-atlantiques-bassin-lacq-totalenergies-lance-plus-grosse-usine-biogaz">bassin industriel de Lacq</a>, près de <a href="https://www.20minutes.fr/societe/pau/">Pau</a> (Pyrénées-Atlantiques).</p><p>Ce projet E-Cho, porté par la société lyonnaise Elyse Energy, vise à implanter d’ici à 2030 une usine qui produirait chaque année 88.000 tonnes de e-méthanol, destinées au <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/transport_maritime">transport maritime</a> et à l’<a href="https://www.20minutes.fr/dossier/industrie">industrie</a>, 87.000 tonnes de carburants d’<a href="https://www.20minutes.fr/dossier/aviation">aviation</a> durables et 28.000 tonnes de naphta, utilisée en chimie verte et additif décarboné pour les carburants. Composé de deux unités principales - eM-Lacq pour la production de e-méthanol et BioTJet pour la production de e-biokérosène –, ce projet nécessiterait un investissement de l’ordre de 2 milliards d’euros.</p><h2>« Il faudra bien remplacer le pétrole par autre chose »</h2><p>Du carburant durable plutôt que du kérosène - issu d’<a href="https://www.20minutes.fr/planete/rechauffement-climatique/4181877-20251027-climat-nombre-sites-extraction-energies-fossiles-continue-augmenter-alertent-ong">énergies fossiles</a>, les associations environnementales ne devraient-elles pas se réjouir ? Pas du tout, car elles pointent du doigt du « <a href="https://www.20minutes.fr/economie/3020195-20210415-greenwashing-faut-tolerer-pubs-exploitant-arguments-faussement-ecologiques">greenwashing</a> » et un projet « dont la raison d’être véritable est l’écoblanchiment du trafic aérien, sans réduction réelle de l’empreinte carbone » écrit Greenpeace dans un communiqué.</p><p>Pourtant, « il faudra bien remplacer le pétrole par autre chose, et l’intérêt de ces carburants, sur l’ensemble de leur cycle de vie, est d’émettre moins de <a href="https://www.20minutes.fr/planete/co2/">CO2</a> que le <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/petrole">pétrole</a>, » soutient auprès de <em>20 Minutes</em> Mathieu Hoyer, directeur du programme E-Cho. « De plus, cela s’intègre dans un cadre réglementaire puisque les Etats, du moins en <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/europe">Europe</a>, ont fixé des objectifs de décarbonation à horizon 2050 dans lesquels ces carburants sont intégrés, en particulier pour l’aviation, poursuit-il. L’Europe définit par ailleurs deux catégories de carburants : les biocarburants - dérivés de biomasse - et les électrocarburants - produits à partir d’électricité. Nous produirons les deux ».</p><h2>Des meubles, des ceps, des arbres</h2><p>Pour y parvenir, « nous utiliserons très majoritairement de l’électricité, puisque cela représente trois-quarts de nos besoins, que nous transformons en hydrogène, puis en carburant, explique Mathieu Hoyer. En complément, nous utilisons, pour un quart de notre projet, 300.000 tonnes de biomasses sèches par an ».</p><p>De quoi s’agit-il ? « Nous aurons un approvisionnement diversifié autour de trois typologies de biomasses : le bois-déchet (par exemple les meubles en fin de vie), les déchets agricoles (comme les ceps de vigne) et le bois-énergie (issus de la sylviculture), pour un tiers chacun. Nous aurons donc besoin de 100.000 tonnes de bois-énergie, ce qui représente 1 % de la récolte actuelle dans les forêts de Nouvelle-Aquitaine et d’Occitanie ». Pour le directeur du projet, « les éléments de langage pour dire qu’on rase la forêt pour faire voler des avions sont donc évidemment absolument faux. La disponibilité est là ».</p><h2>« Le plan d’approvisionnement de la société est complètement bancal »</h2><p>L’analyse des associations se situe aux antipodes. « Le calcul de l’empreinte carbone de ces biocarburants ignore complètement le carbone émis par le bois lui-même quand il est brûlé, ainsi que les problématiques de changement d’usage des sols, s’étrangle Solal Bordenave, de l’association Forêts Vivantes Pyrénées. Or, quand une coupe rase sera réalisée pour prélever du bois, du carbone sera aussi relâché par le sol. Si on intègre ces données, ces carburants issus de biomasse forestière ont une empreinte potentiellement pire que celle du kérosène, et en tout cas pas au niveau des 70 % inférieurs au carburant fossile, comme demandé par l’Union européenne ».</p><p>Le militant écologiste assure par ailleurs que la filière autour des déchets agricoles « n’est absolument pas structurée à ce jour », et que le bois-déchet « est déjà largement utilisé ». Pour Solal Bordenave, « le plan d’approvisionnement de la société Elyse est donc complètement bancal », et « tout nous laisse à penser qu’ils feront en réalité 100 % de bois de forêt ».</p><h2>« La France est un pays propice au développement de ces énergies »</h2><p>Anne Guivarc’h, la directrice générale de la Fédération des industries du bois de Nouvelle-Aquitaine (FIBNA), s’inquiète d’une demande qui gonfle. « On estime qu’il n’y aura pas suffisamment de bois pour tout le monde », disait-elle <a href="https://www.<em>latribune.</em>fr/business/industrie/2025-07-23/l-avenir-de-la-foret-des-landes-de-gascogne-menace-par-l-explosion-de-la-demande-en-bois-1030112.html">dans les colonnes de La Tribune</a> en juillet, pointant un risque de déstabilisation de la filière, notamment en raison de l’arrivée de ces nouveaux acteurs de la transition énergétique.</p><p>Dans son rapport, l’expert indépendant Solagro est dubitatif à ce stade quant au projet, et a relevé que « l’étude fournie [par Elyse Energy] concernant l’approvisionnement en bois issu de forêt […] ne permet pas de conclure en matière de disponibilité de court et moyen terme ».</p><p>Malgré la forte consommation énergétique attendue de l&#x27;usine, Elyse Energy estime cependant qu’il vaut mieux « produire ce carburant chez nous qu’en Chine », notamment parce que « la France est un pays propice au développement de ces énergies, grâce à notre électricité bas carbone ». Le projet E-Cho « représente une consommation de 3,7 TW/h, par an, ce qui est beaucoup [la consommation annuelle totale des Pyrénées-Atlantiques est de 4,16 TW/h] » reconnaît Mathieu Hoyer. « Mais la France exporte de l’ordre de 90 TW/h par an ».</p><p>Quant à la ressource en eau, « la consommation du projet [3,6 millions de m3 d’eau prélevés, dont 3 millions consommés, soit autant qu’une ville de 60.000 habitants, dénoncent les associations], cela représentera moins de 1 % du débit d’étiage du gave de Pau, qui alimente toute la plateforme industrielle ».</p><h2>« Il faudra toujours faire voler des avions »</h2><p>Solal Bordenave souligne par ailleurs que le projet E-Cho, « s’il se fait, ne pourra fournir au final que de l’ordre de 1 % des besoins de l’aviation française ». Ce ne serait donc « pas une solution durable », puisque « pour couvrir l’ensemble des besoins de l’aviation française en 2050, il faudrait raser l’ensemble de la surface des forêts françaises. C’est délirant ».</p><p>Le directeur du projet E-Cho pointe que les biocarburants n’ont pas vocation à remplacer 100 % du kérosène, mais qu’ils ont leur « part à prendre » dans les ambitions de décarbonation. « En 2030, ils représenteront 6 % des carburants des volumes consommés dans l&#x27;aérien ».</p><figure><iframe title="La décarbonation de l'aviation" width="100%" height="100%" src="https://www.ultimedia.com/deliver/generic/iframe/mdtk/01357940/zone/1/src/qksrqlz/showtitle/1/" frameborder="0" scrolling="no" marginwidth="0" marginheight="0" hspace="0" vspace="0" webkitallowfullscreen="true" mozallowfullscreen="true" allowfullscreen="true" allow="autoplay" referrerpolicy="no-referrer-when-downgrade"></iframe></figure><p>« L’opposition de base ne s’articule pas vraiment autour du projet E-Cho mais autour des usages de nos ressources - notamment celles liées à la forêt, et autour des réglementations européennes - notamment la façon de comptabiliser le carbone, estime le directeur du projet E-Cho. Et il y a aussi une opposition frontale au secteur aéronautique. Malheureusement, la sobriété ne suffira pas, car il faudra toujours faire voler des avions, ne serait-ce que pour la défense, le fret, le sanitaire… »</p><h2>« L’avion qui brûle des arbres, c’est de la poudre aux yeux »</h2><p>Une vision que ne partage pas Solal Bordenave. « L’avion électrique, l’avion à hydrogène ou l’avion qui brûle des arbres, c’est de la poudre aux yeux. Du greenwashing pour le secteur aérien, qui cherche à gagner du temps pour ne pas aborder la vraie question : la réduction du trafic, insiste-t-il. Il faut que chaque aéroport accepte d’établir un seuil pour l’ensemble de ses vols, puis qu’il entame une baisse, pour ne conserver in fine qu’un volume de trafic marginal ». Parmi les aéroports visés, figure celui de Bordeaux, « partenaire du projet E-Cho alors qu’il veut se positionner comme un aéroport vert. C’est un non-sens ».</p><figure> </figure><figure><a href="https://www.20minutes.fr/dossier/transition_energetique">Notre dossier sur la transition énergétique</a></figure><p>L’entreprise vient de déposer le dossier de demande d’autorisation environnementale, qui va être instruit par la Dreal, avant une enquête publique probablement à l’automne 2026. Le préfet décidera alors si le projet pourra continuer à voler de ses propres ailes ou sera contraint à l’atterrissage forcé.</p>